Se lancer dans une démarche de financement pour son entreprise peut faire peur, tant le processus semble fastidieux et compliqué. Il s’agit pourtant d’une étape par laquelle devront passer de nombreux indépendants. Autant donc s’y préparer le mieux possible.
En 2020, le service d’études UCM publiait un rapport sur le financement des PME wallonnes et bruxelloises. À l’époque, 61 % des répondants estimaient que l’accès au crédit était devenu plus difficile par rapport aux cinq années précédentes. Un entrepreneur sur trois indiquait également qu’il n’avait pas obtenu, ou que partiellement, le crédit qu’il avait sollicité. Une tendance confirmée trois ans plus tard dans le baromètre PME du premier trimestre 2023. Un indépendant sur deux y affirmait que les conditions d’accès au crédit restaient (trop) complexes. Ce constat, similaire à celui enregistré au dernier trimestre de 2022, prouve que le problème est persistant pour de nombreux chefs d’entreprise. Ce qui peut même engendrer des frustrations chez certains.
« Il n’y a pas, au sein des banques, d’instructions en matière de crédit pour durcir les clauses d’accès, assure Jean-Benoît Echement, directeur du centre entreprises chez CBC. Au contraire, on est demandeurs de crédits car il y a évidemment une rentabilité derrière. Chaque dossier est analysé sur base de critères objectifs et qualitatifs, et ce sont eux qui déterminent l’accès ou non au financement. » Le premier, et principal, indicateur à être examiné est la capacité d’endettement de la société. En clair, est-elle capable de rembourser ? Dans l’affirmative, d’autres éléments sont pris en compte, comme l’historique financier de la personne ou la proportionnalité du projet par rapport à la taille de l’entreprise, par exemple. En 2022, CBC a octroyé des crédits professionnels pour 1,544 milliard d’euros, c’est 16 % de plus que l’année précédente (1,327 milliard).
Du privé au public
Dans la même étude UCM de 2020, les indépendants déploraient le fait que les formalités à remplir avant toute demande n’étaient pas suffisamment simples et que les justifications des banques étaient parfois trop peu claires. « On essaie d’être les plus transparents possible chez CBC. Si le patron veut à un moment donné une précision, il peut avoir accès à son rating (indice de solvabilité, NDLR) basé sur nos différents critères qualitatifs et quantitatifs. On peut en discuter avec lui sans aucun problème. Peut-être que les indépendants ont l’impression qu’on ne communique pas à ce propos, ce que je peux comprendre. On a d’ailleurs élaboré une conférence sur la thématique afin que le client comprenne comment un banquier réfléchit pour octroyer du crédit et les choses auxquelles il faut faire attention. »
Selon le rapport sur le financement, quatre critères sont généralement avancés par les banques pour justifier un refus : des garanties insuffisantes (39 %), un secteur d’activité très risqué (21 %), des apports propres insuffisants (18 %), et la qualité du projet ou sa rentabilité qui sont jugées insuffisantes (15 %). En cas de réponse négative, ou pour obtenir un crédit complémentaire, les gérants peuvent être invités à contacter un organisme public.
Parmi ceux-ci, on retrouve WE, c’est-à-dire Wallonie Entreprendre (résultant de la fusion il y a quelques mois de la Sogepa, la Sowalfin, et la SRIW). Cette nouvelle entité régionale permet de mieux articuler l’accompagnement et le financement des sociétés grâce à des solutions globales et un suivi sur mesure. « Je pense que les banques belges jouent quand même globalement le jeu, estime Olivier Vanderijst, président du comité de direction de WE. Évidemment il y a des catégories d’entreprises pour lesquelles elles prennent moins de risques. C’est logiquement le cas des start-ups et des spin-offs. Je dirais juste que, dans certains cas, elles sont un peu dures en termes de garanties. Et parfois, même quand le prêt se rembourse, elles ne les diminuent pas, ce qui rend plus difficiles de nouveaux financements. »
Sur le terrain, 90 % des sollicitations de crédits chez CBC viennent de sociétés existantes, pour seulement 10 % de starters. « Le rôle de la banque est d’arriver quand le projet est en phase de commercialisation, explique Jean-Benoît Echement. Ce n’est pas sa vocation de financer de la recherche et développement par exemple. Il y a d’autres outils qui peuvent très bien jouer ce rôle. Au final, tout dépend de la qualité du projet. Je rappelle que le terme crédit vient de “credere” en latin, qui signifie “croire”. Il faut donc croire au projet avant d’intervenir dans une start-up. »
De son côté, WE est capable d’investir seul dans le projet de l’entreprise, ou en complément, parfois automatique, de fonds privés ou bancaires. « Les banques figurent parmi nos grands apporteurs d’affaires. Elles ont de multiples agences, de nombreux contacts… Notre vocation n’est toutefois pas de financer ceux dont les crédits sont refusés par les banques. On le fait aussi… mais on est surtout très complémentaires car on peut faire du capital ou du prêt subordonné (qui commence à être remboursé une fois que la dette envers la banque est soldée, NDLR) qui renforcent les fonds propres. Cela a un effet de levier sur le financement bancaire », constate Olivier Vanderijst.
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Des taux en hausse
L’information n’aura échappé à personne : les taux remontent furieusement depuis début 2022, après avoir atteint un plancher historiquement bas. « Les taux en Belgique ne sont certainement pas plus élevés que chez nos voisins », contextualise d’emblée Olivier Vanderijst (WE). Selon la Banque nationale de Belgique, le taux moyen pondéré des crédits est passé de 1,5 % à 3,9 % entre février 2022 et mars 2023. Une augmentation difficile à vivre pour de nombreux entrepreneurs qui voient par la même occasion l’accès à de futurs financements bancaires se durcir.
Cette hausse ne devrait pourtant pas avoir d’impact sur le total de prêts accordés par CBC, d’après Jean-Benoît Echement. « Je crois que ce qui pousse une entreprise à investir à un moment donné, ce ne sont pas les taux d’intérêt. C’est plutôt la rentabilité du projet. J’ai connu des taux à 14 %, j’en ai connu à moins de 1 %. Il est cependant clair que plus les taux sont bas, plus le rendement est important. Mais ce n’est pas le critère unique pour un investissement. Ce sont vraiment la qualité du projet et le retour sur investissement qui priment. On peut très bien avoir un projet financé à du 13 % qui est rentable. »
Des critères ESG déjà essentiels
Contexte énergétique oblige, de nombreux prêts accordés par CBC récemment l’ont été pour améliorer la performance énergétique des sociétés : panneaux photovoltaïques, chaudières plus économiques, voitures électriques… ont actuellement le vent en poupe. Et les dirigeants qui investissent seront doublement gagnants. À côté de l’avantage économique certain, ces investissements durables pourront entrer en compte au moment d’évaluer la responsabilité sociétale de l’entreprise. Ces critères, nommés ESG (pour « environnementaux, sociétaux et de gouvernance »), pourront même être liés à l’octroi d’un prêt ou à l’obtention d’un taux d’intérêt plus avantageux. Ils sont d’ailleurs déjà entrés en vigueur dans notre pays et sont appelés à se renforcer. « Ce sont des aspects auxquels nous sommes très attentifs. Il y a par exemple des secteurs aujourd’hui dans lesquels il est plus difficile de décrocher un crédit. On ne soutient plus tout ce qui est très polluant, comme l’industrie du charbon », note Jean-Benoît Echement.
Même son de cloche du côté de WE, qui désire accompagner davantage les entreprises dans cette transition. « C’est indispensable car c’est une thématique de plus en plus importante. Dans un premier temps, on souhaite inciter plutôt que sanctionner. Mais je pense que l’inscription de l’ensemble des entreprises wallonnes dans la performance ESG est incontournable à court et moyen termes », complète Olivier Vanderijst. Aujourd’hui, les normes ESG ne s’appliquent qu’aux plus grosses entreprises. Ces dernières doivent cependant établir un reporting de leurs fournisseurs, même PME, et les performances de ceux-ci vont influencer leur évaluation globale à elles. Ce qui les pousse à travailler avec des sociétés qui se veulent plus durables.
Les bonnes performances ESG sont par ailleurs un élément important de la résilience et de la soutenabilité à long terme des PME. On l’a encore constaté ces derniers mois avec la crise énergétique. Et si elles orientent potentiellement les choix de carrière, ces valeurs aideront aussi les employeurs à remporter la « guerre des talents » : à l’heure actuelle, les difficultés de recrutement constituent en effet l’un des principaux freins à la croissance des PME.
« Les banques vont donc être de plus en plus vigilantes, poursuit Olivier Vanderijst. Ce sont vraiment des critères qui doivent à présent être pris en compte quand on effectue une analyse de l’entreprise à financer. On peut douter de la pérennité de celles qui n’accordent aujourd’hui aucune attention à ces différents points. Des questionnaires sont déjà remplis par les entreprises qui sollicitent un financement de plus de 100.000 euros. À terme, les réponses à ces questionnaires vont déboucher sur un scoring qui pourrait affecter les modalités de financement. Les entreprises les plus performantes pourraient bénéficier de conditions de financement plus abordables. »
Les atouts du financement alternatif
Les entrepreneurs pensent parfois que les banques sont les seules capables de les épauler dans le financement de leur projet. Ce n’est pourtant pas le cas. Wallonie Entreprendre offre par exemple toute une série de financements (prêts, garanties, capital) pour permettre à chacun de développer son activité, quel que soit le secteur. Au 1er mai de cette année, WE avait déjà libéré des fonds à hauteur de 137 millions d’euros, soit un peu plus qu’à la même période en 2022.
Les proches de l’entrepreneur peuvent, eux aussi, investir dans sa société pour contribuer à atteindre ses objectifs. C’est notamment possible via le prêt « coup de pouce », un mécanisme qui permet depuis 2016 aux particuliers, comme les membres de la famille ou les amis, de prêter de l’argent aux entreprises wallonnes et aux indépendants afin de financer leur activité. Face à son succès, ce prêt a été prolongé de deux ans à la fin de l’année passée. En pratique, les prêteurs reçoivent en contrepartie de leur démarche un avantage fiscal sous la forme d’un crédit d’impôt annuel s’élevant à 4 % pendant les quatre premières années, et 2,5 % par la suite. Les plafonds autorisés sont de 250.000 euros par emprunteur et de 100.000 euros par bailleur de fonds sur une durée de quatre, six, huit ou dix ans.
Pour les années 2021 et 2022 cumulées, environ 32 millions d’euros avaient été dégagés grâce à 4.500 prêts « coup de pouce ». Pour le premier trimestre de 2023, 567 prêts ont représenté un montant total de 3.450.646 euros.
Un mécanisme similaire existe en Région bruxelloise. Il est géré par finance&invest.brussels et se nomme « prêt Proxi ». Le remboursement s’effectue en une fois après cinq ou huit ans, ou selon un schéma d’amortissement (mensuel, trimestriel, semestriel ou annuel). L’avantage fiscal pour le prêteur est de 4 % les trois premières années, puis de 2,5 %.
Ces différents instruments sont malheureusement encore trop peu connus des indépendants. Au deuxième trimestre de 2022, 15 % seulement des répondants à une enquête UCM sur les financements alternatifs affirmaient avoir déjà eu recours à ce type de solution. Dans 45 % des cas, il en allait de la survie de l’entreprise. Ces dispositifs étaient aussi utilisés pour remplacer (22 %) ou compléter (18 %) un financement plus classique. Les montants les plus souvent obtenus étaient peu élevés, variant entre 5.000 et 15.000 euros. Seuls 10 % des répondants avaient levé plus de 100.000 euros.